Santé mentale et burn-out : les professionnels de l’imagerie sont aussi concernés
Santé mentale et burn-out : les professionnels de l’imagerie sont aussi concernés
Phénomène majeur et inévitable de la dernière décennie, le burn-out, ou syndrome d’épuisement professionnel est identifié depuis le début des année 70 par les psychiatres et les psychanalystes. Reconnu depuis 2019 par l’Organisation mondiale de la Santé comme un problème de santé publique majeur, le phénomène a explosé dans toutes les catégories socio-professionnelles et bien évidemment les professionnels de santé n’y ont pas échappé. Les conséquences sont réelles dans le monde du travail : en 2020, le taux d’absentéisme dans les hôpitaux français se situait entre 9,5% et 11,5% selon les chiffres de la Fédération hospitalière française. Si comme nous allons le voir, le risque d’épuisement professionnel des soignants est signalé par des rapports dès le début des années 2010, c’est la pandémie récente de COVID-19 qui lève le voile sur les souffrances des personnels médicaux et paramédicaux. Parmi eux, les manipulateurs radio et les radiologues. Aux conditions de travail dégradées et à la surcharge de travail permanente, communes pour tous les professionnels de santé, se rajoutent, nous allons le voir, les spécificités propres de l’imagerie médicale.
Les professions de santé, un secteur à risque
Le burn-out n’est pas considéré comme une maladie à proprement parler, mais comme un syndrome avec des symptômes à la fois physiques et psychiatriques. La dépression, l’anxiété, les troubles du sommeil et autres conduites addictives sont autant de signes qui doivent alerter. En 2020, La pandémie de covid-19 a révélé au grand jour le mal-être que pouvaient éprouver les professionnels de santé au quotidien.
Un rapport de la DREES (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) paru en juin 2023 stipule que «au cours de l’été 2021, le personnel hospitalier déclare plus souvent que les autres travailleurs des symptômes de dépression et d’anxiété, et exprime davantage le besoin de consulter des professionnels de santé pour des difficultés psychologiques ».
En effet, le milieu hospitalier se distingue des autres secteurs professionnels par sa proportion élevée de personnes exposées à des conditions de travail difficiles, qu’il s’agisse de pénibilité physique ou de risques psychosociaux majorés. De façon générale, on sait aujourd’hui que c’est la combinaison de facteurs personnels et environnementaux qui est le plus souvent à l’origine du déclenchement du burn-out. Un des paramètres qui impacte le plus la santé mentale des travailleurs est la difficulté à concilier vie personnelle et vie professionnelle. A noter ici que les femmes, souvent en charge du maximum de responsabilités au sein du foyer, et dont l’effectif est très important en milieu hospitalier sont particulièrement touchées par la dépression et l’anxiété liées aux conditions de travail. La population des manipulateurs radio remplit bien évidemment tous ces critères.
Par ailleurs, Les horaires atypiques, spécificité du travail en milieu hospitalier, peuvent aussi constituer une source d’anxiété. Ainsi une étude récente, AMADEUS, publiée en 2022 tend à montrer que les horaires en 12 heures, très populaires au sein du milieu hospitalier comme dans les services d’imagerie, peuvent avoir des effets délétères au niveau des rythmes circadiens, augmentent les risques d’anxiété et donc le risque de burn-out. Le travail de nuit, inhérent lui-aussi aux exigences du secteur de la santé, a aussi un effet avéré sur les troubles du sommeil, le syndrome métabolique, la santé psychique, le surpoids et l’obésité.
Un autre changement majeur a bouleversé le secteur de la santé ces vingt dernières années : la rationalisation de l’activité hospitalière, symbolisée par la mise en place de la T2A (tarification à l’acte) depuis 2004. Ce bouleversement administratif et économique a conduit à une recherche permanente d’optimisation de la productivité et à la standardisation des procédures et cela a induit en conséquence, une hausse des contraintes de rythmes horaires pour les soignants. En imagerie médicale, cela se traduit par une augmentation des cadences d’examens et des amplitudes horaires, souvent à effectif égal.
Tous ces éléments concourent à réunir des conditions de travail propres à faciliter le syndrome d’épuisement professionnel : épuisement émotionnel, déshumanisation de la relation à l’autre, perte de sens de l’accomplissement de soi au travail sont autant de dimensions touchées qui peuvent conduire au burnout. Et dès 2014, les instances gouvernementales de la santé publient des rapports (SEPS 2014) qui décrivent précisément ces m écanismes.
Imagerie médicale : Peu de chiffres mais un mal-être bien réel
Soyons clairs, les études consacrées au personnel paramédical et médical de l’imagerie ne sont pas légion…. D’ailleurs, le test MBI de Maslash, qui fait référence pour l’évaluation du burnout, a été élaboré pour les professionnels du soin et de l’aide à autrui avec des items qui ne correspondent pas toujours aux contraintes de l’imagerie médicale. Pourtant, que vous soyez radiologue, manipulateur radio, cadre, secrétaire vous avez senti sans doute ressenti ces difficultés dans vos journées de travail : Une demande d’examens qui ne cesse d’augmenter, des rythmes toujours plus soutenus, des effectifs souvent insuffisants, un manque de reconnaissance du métier, toujours plus de logiciels à maitriser, de mots de passe à connaitre et de plateformes virtuelles… L’imagerie médicale ne fait pas exception au désarroi général du monde hospitalier, même si les situations sont moins décrites. Ceux qui sont mal renseignés peuvent oublier parfois que l’imagerie est un monde de soignants, mais il est clair que le syndrome d’épuisement professionnel touche les personnels de l’imagerie comme le reste des professionnels de santé.
Néanmoins, une étude parue en octobre 2021 consacrée à la santé mentale des radiologues de la région Centre-Val-de-Loire nous offre un regard singulier sur la situation : en effet, sur 109 radiologues ayant répondu, 67% étaient considérés en burnout dont 14% en burnout sévère. Les principaux facteurs de risque évoqués étaient : la surcharge de travail, le manque de temps pour rencontrer les patients, la pression des demandes d’imagerie, les injonctions contradictoires et le manque de reconnaissance. A noter que si l’on remplace l’expression « rencontre » par « prise en charge », on pourrait tout à fait reprendre ces critères pour le compte du personnel paramédical et notamment pour les manipulateurs radio. Si l’on compare ces chiffres avec une méta-analyse réalisée en 2019 sur plus de 15000 médecins, toutes spécialités confondues, on remarque que le taux global de burnout chez les radiologues du Centre Val de Loire est bien plus élevé que pour le reste de la population médicale étudiée. Dans cette région de faible densité de population, la présence d’un nombre moindre de professionnels de santé, est très certainement un facteur aggravant.
A cette occasion, il est aussi intéressant de remarquer que l’une des rares études concernant la santé mentale des professionnels de l’imagerie a été produite par un grand constructeur bien connu : l’entreprise PHILIPS a élaboré récemment, Un rapport de recherche qui traite de la satisfaction du personnel d’imagerie et qui explore notamment le niveau de stress et d’épuisement des manipulateurs dans différentes régions du monde. Un des résultats suggère qu’une solution à apporter à la surcharge permanente de travail est l’automatisation de certaines tâches. Par exemple, le personnel d’imagerie français estime que 17% de son travail pourrait être automatisé (Toujours selon ce rapport)
« L’automatisation des processus liés à la planification des patients et du personnel, à la préparation des patients, à la définition et à la sélection de protocoles, à la planification pré-examen (contre-indications et implants, par exemple), au positionnement des patients, à l’analyse des images, au post-traitement et à la préparation des résultats à envoyer au PACS permettrait au personnel d’imagerie de consacrer moins de temps à la technologie et plus de temps aux patients. »
Cette idée ouvre certainement de nouvelles questions : en effet, l’intelligence artificielle inonde chaque jour un peu plus le monde de l’imagerie, avec plus ou moins de crainte pour les acteurs de la spécialité. Ici l’IA pourrait avoir un intérêt concret pour soulager les manipulateurs au quotidien. L’automatisation de certaines taches annexes permettraient aux manips de passer plus de temps avec les patients, et donc de se consacrer à cette partie essentielle, qui est le corps réel de son métier. Ce n’est bien évidemment qu’une réponse parmi d’autres pour répondre à la question du stress et de l’épuisement professionnel… Mais après tout, peut-être devrions nous nous réjouir que les constructeurs s’intéressent au bien être des professionnels qui utilisent leurs machines…
De la nécessité de préserver la santé mentale des professionnels de santé
Aujourd’hui, la multiplication des cas de syndrome d’épuisement professionnel, la raréfaction des vocations, les pénuries de personnels et la crise démographique globale observée chez les soignants, ne peuvent plus laisser les instances dirigeantes indifférentes, au risque de laisser se dégrader toujours plus, la prise en charge globale des patients et la qualité des soins, même dans un pays riche et industrialisé comme le France. Si la notion de qualité de vie au travail émerge au sein des entreprises de tous les secteurs, il y a un sentiment d’urgence à traiter la souffrance des soignants. Certaines initiatives concrètes voient le jour comme par exemple, l’ouverture d’un centre spécialisé à Toulouse : il s’agit là d’une approche pluridisciplinaire et spécialisée qui se consacre exclusivement à la prévention du syndrome d’épuisement professionnel chez les soignants. Par ailleurs des associations et des numéros verts existent pour venir en aide aux professionnels de santé et aux étudiants :
En définitive, il s’agit aussi et surtout de dédramatiser le fait de demander de l’aide ! Pour les manipulateurs comme pour les autres professionnels de santé, cette position quotidienne de « celui qui aide », celui qui tient le coup, qui ne craque jamais est un frein pour qui aurait besoin de franchir la porte d’un professionnel… En effet, les soignants ont très souvent tendance à renier leur propre vulnérabilité. Comme le rappelle Pascale Molinier, professeure de psychologie sociale : pour les soignants « Il s’agit de réduire les marges d’identification possible avec les malades, de se sentir fort et en bonne santé, non menacé par l’ensemble des maux dont on a connaissance ». Mais insistons bien sur ce point, rester seul ne constitue pas même le début d’une solution ! Prendre rendez-vous avec un médecin traitant est un premier pas : il connait bien son patient, il le connait globalement. Et même si les victimes de burnout ont souvent du mal à l’entendre en début de prise en charge, un arrêt de travail permet dans un premier temps d’éloigner le salarié d’une situation devenue toxique pour lui. Une approche pluriprofessionnelle peut aussi s’envisager : psychologues, psychiatres, sophrologues sont autant de thérapeutes que l’on peut consulter pour recouvrer une certaine qualité de vie et l’équilibre lors de son retour à l’emploi.
Pour autant, tous les professionnels s’accorderont pour dire que les personnes victimes de burnout guériront d’autant mieux qu’elles deviendront actrices de leur prise en charge. Jour après jour, leurs efforts leur permettront de franchir les étapes nécessaires pour aller dans le sens de l’équilibre et du mieux-être :
- Evacuer le stress, l’anxiété
- Se détendre, s’apaiser, déculpabiliser, prendre du recul
- Engager des actions pour s’approcher des choses et personnes importantes pour soi, satisfaire ses besoins.
- Être aligné à se valeurs, poser ses limites, développer son libre arbitre
Les stratégies possibles pour parvenir à cet état de mieux être sont nombreuses, accessibles et passent souvent par un travail à la fois mental et corporel : sophrologie, respiration alternée, cohérence cardiaque etc…
Anne-Laure Cochin, manip radio et sophrologue de formation reprend toutes ces techniques dans la formation «gestion du stress et prévention du Burn out» que Medical Professionals propose.
Un extrait de “Gestion du Stress et Prévention du Burnou” dispensée par Anne Laure Cochin
Puis, quand la question du retour au travail se pose, après toutes les remises en question opérées, il s’agira de savoir s’entourer au niveau professionnel et d’échanger avec son employeur pour accompagner au mieux ce renouveau. Par exemple, envisager une formation ou un aménagement de l’emploi du temps en accord avec la médecine du travail. En effet, les victimes de burnout qui ont guéri, ont pour la plupart retrouvé au prix d’efforts certains, le sens de leur métier, et savent se rappeler pourquoi elles le font. Pour les manipulateurs radio, Il sera fondamental pour eux de toujours revenir à ces valeurs essentielles, de se recentrer autour du patient et de ne pas se laisser parasiter par de potentielles nuisances extérieures.
En ce sens, on ne saurait rappeler toute l’importance d’un management attentif, facilitant la communication et les échanges en confiance au sein de l’équipe. Une éthique basée sur la bientraitance et la cohésion de groupe, une juste répartition des tâches, une organisation anticipée des plannings sont autant d’atouts pour prévaloir le risque d’épuisement des équipes. A ce sujet, nous vous invitons à voir ou revoir l’épisode de « portrait de manip » avec Fabienne Gouze, cadre du service d’imagerie de l’institut Bergonié à Bordeaux, qui nous présente sa vision inspirante du management.
Pour tous, il convient enfin de se rappeler les éléments essentiels à une bonne santé mentale et physique :
- Un sommeil de qualité
- Une alimentation variée et équilibrée
- Un activité physique régulière
Respecter ces 3 « piliers », vous permettra de mieux supporter les difficultés rencontrées dans votre vie, et de diminuer les risques de burn-out.
En règle générale, n’attendez pas d’être exténué pour réagir : prendre soin de vous au quotidien vous permettra de vous épanouir plus facilement au sein de votre vie professionnelle. Parlez avec vos collègues, communiquez avec vos supérieurs sur ce qui ne va pas mais aussi sur ce qui va, cherchez des solutions, rappelez-vous que l’important sera toujours l’intérêt du patient et donc le vôtre. Faites du sport, prenez des pauses, apprenez à respirer et n’oubliez pas de rire. C’est prouvé, le rire booste la motivation, libère des endorphines, favorise la créativité et la productivité des équipes !!! Manip radio, radiologue, ce sont des métiers passionnants. Si vous souhaitez aimer votre métier le plus longtemps possible, éloignez le burnout et prenez soin de vous !