Être Manipulateurs (-trices) en mammographie face à la pandémie COVID-19 ?
Lorsque vous pensez aux professionnels de santé à haut risque de contracter le COVID-19, les manipulateurs (-trices) en mammographie ne viennent probablement pas facilement à l’esprit, voire pas du tout. Vous pensez probablement aux médecins et aux infirmières. Vous penserez peut-être aux manipulateurs en radiologie effectuant les radiographies et les scanners aux patients soupçonnés d’avoir la COVID-19. Mais vous ne penseriez probablement pas aux manipulateurs (-trices) en mammographie et vous auriez tort de ne pas le faire.
En fait, les premiers professionnels de la santé à décéder du COVID-19 aux Etats-Unis dans l’État de Géorgie par exemple, étaient des manipulateurs (-trices) en mammographie.
Les manipulateurs (-trices) en mammographie sont des manipulateurs (-trices) en radiologie spécialisés, et les manipulateurs (-trices) en radiologie, selon une analyse récente, font partie des groupes de travail les plus à risque de contracter le COVID-19 en raison de la nature inhérente de leur travail.
A titre d’exemple, pour nos homologues outre atlantiques: les statistiques réalisés par la FDA, les techniciens en mammographie effectuent près de 40 millions de mammographies par an. Cela représente environ 100 000 mammographies par jour, 100 000 patients par jour, 100 000 risques de contracter le virus par jour, car le maintien de la distance sociale, une règle essentielle pour contenir la propagation du COVID-19, est quasiment impossible lors d’une mammographie.
En France, au cours de l’année 2019, ce n’est pas moins de 2 551 000 femmes qui se sont faites dépistées, soit près de 10 000 mammographies par jour. (sachant que le nombre d’habitants est de 61 Millions en France et de 293 Millions aux Etats-Unis). Les manipulateurs (-trices) en mammographie doivent être intimement proches de leurs patientes pour positionner leur corps, leurs seins, leurs épaules, leurs bras afin de réaliser des images de qualité de leur tissu mammaire. Et le type de patientes peut aller d’une femme nerveuse qui passe sa première mammographie à la femme désemparée qui a trouvé une bosse dans son sein en passant par une femme atteinte d’un cancer du sein qui se bat pour sa vie. Ces femmes peuvent pleurer et renifler, tousser, gémir d’inconfort, être si nerveuses et gênées de montrer l’une des parties les plus intimes de leur corps à un étranger, même à un professionnel qualifié de la santé, qu’elles peuvent parler avec colère et/ou peur au manipulateur(-trice) en mammographie. Maintenant, ces interactions variées mais routinières si familières au manipulateur(-trice) en mammographie sont devenues responsables d’un risque accru de contracter le virus.
Et cela sans parler des autres rôles que jouent les manipulateurs(-trices) en mammographie dans la prestation de soins qui les exposent à un risque physique et à une immense tension émotionnelle – ceux de consolateur, de confident, et de conseiller. Imaginez devoir peser le risque de contracter le COVID-19 par rapport au bénéfice pour votre patient de donner un mot apaisant, un toucher rassurant, un câlin à la femme qui est patiente depuis des années et qui a finalement vaincu son cancer, l’épaule sur la quelle pleure la femme qui a trouvé une masse terrifiante dans sa poitrine. Maintenant, à l’ère du COVID-19, ces interactions humaines normales pourraient faire la différence entre la vie et la mort pour le manipulateur(-trice) en mammographie.
Laisseriez-vous la femme debout devant vous, les seins nus et effrayés, pleurer seule, en dépits des preuves croissantes de la propagation facile du virus par des gouttelettes en aérosol ? Peut-elle dire que vous offrez un sourire réconfortant ou une expression empathique derrière votre masque ? Lui demanderiez-vous de remettre son masque avant de l’approcher ? Quand votre travail est-il devenu une analyse de risques-avantages ? Les protocoles de sécurité disent que vous devez minimisez les interactions. Vous devez maintenir vos distances pendant qu’elle pleure, et cela vous tue. Ce n’est pas ce pourquoi vous avez signé…
« Je suis devenue une gendarme des masques », a déclaré Suzanne, manipulatrice en mammographie travaillant dans un service de dépistage et d’imagerie de la Femme en Virginie (Etats-Unis), lors d’une interview avec des professionnels de la santé. « Si un patient ne met pas son masque correctement, je lui demande de le remettre correctement ou de le remplacer par un masque chirurgical ». La pandémie a non seulement rendu Suzanne vigilante à propos de son masque et ceux de ses patients, mais elle a changé la façon dont elle interagit avec les patients. « Je ne fais plus beaucoup de bavardages », a-t-elle admis, citant les dangers d’être dans un environnement fermé avec un patient potentiellement COVID-19 positif pendant 15 minutes ou plus. Elle a commencé à réaliser des mammographies en dix minutes, ce qui a rendu difficile la prise en charge des peurs, des préoccupations et des états émotionnels des patientes avec une interaction profonde.
En reconnaissance des risques auxquels sont confrontés les manipulateurs(-trices) en mammographie, l’American Society of Breast Surgeons (ASBrS), la National Accreditation Program for Breast Centers, le National Comprehensive Cancer Network (NCCN), la Commission on Cancer (CoC) de l’American College of Surgeons, et l’American College of Radiology (ACR) ont publié une déclaration conjointe en avril 2020 recommandant l’arrêt de toutes les mammographies de dépistage jusqu’à ce que la pandémie soit passée. Seules les patientes atteintes de maladies potentiellement mortelles et celles qui ont besoin d’un traitement urgent doivent encore être vues, réduisant ainsi considérablement le nombre de patientes avec lesquelles les manipulateurs(-trices) en mammographie interagiront et le risque que le personnel médical contracte le COVID-19. Des nombreuses institutions ont suivi ces recommandations. Selon une étude récemment publiée par l’EPIC Health Research Network, les dépistages par mammographie ont chuté précipitamment, jusqu’à 94% en mars 2020 par rapport à mars 2019. Une autre étude publiée en juillet dans JCO Clinical Cancer Informatics, a révélé que les mammographies de dépistage ont diminué de près de 90% en avril 2020 par rapport à avril 2019.
Avec un volume d’imagerie mammaire si réduit, de nombreux établissements de dépistage ont fermé leurs portes. Certains manipulateurs(-trices) en mammographie ont été au chômage pendant des semaines. Les manipulateurs(-trices) titulaires d’autres spécialisations ont pu être envoyés dans d’autres services d’imagerie où le volume d’examens nécessitait plus d’effectif.
Suzanne a été l’une des nombreuses manipulatrices en mammographie à être licenciée lorsque le service de dépistage où elle travaille a fermé de la fin mars à début juin. Elle s’est inscrite au chômage et est restée à la maison.
Mais maintenant, les établissements rouvrent leurs portes à nouveau pour la mammographie de dépistage. Dans un article récent sur le rebondissement du volume des mammographies de dépistage, « Diagnostic Imaging » cite une étude menée par Volpara Solutions, une société d’analyse d’imagerie mammaire, qui a révélé que 78% des hôpitaux et des établissements d’imagerie fournissant des services de mammographie aux États-Unis ont recommencé à effectuer des dépistages mammographiques. Le centre où travaille Suzanne en fait partie. Alors qu’elle était prête à reprendre soins des patients, elle craignait de rencontrer le virus au travail, d’autant plus que les États-Unis ont vu le nombre de cas de COVID-19 augmenter à nouveau.
Mais elle avait ses masques et ses protocoles de dix minutes. Et puis Suzanne a été testée positive pour COVID-19.
Elle travaillait depuis des jours avant de déclarer des symptômes. Elle a dit que la maladie ne ressemblait à rien de ce qu’elle avait pu connaître auparavant. Et tandis qu’elle traitait les symptômes physiques de la COVID-19, elle portait également un fardeau émotionnel. Elle avait réalisé des mammographies pour 23 patientes avant que les symptômes du virus ne se manifestent. « Je me sentais tellement mal pour mes patientes », dit-elle. “Elles arrivaient en pensant qu’elles étaient en sécurité, alors qu’en réalité elles ne l’étaient pas.” L’établissement a contacté les patientes et a mis Suzanne en quarantaine. Elle est maintenant dans les derniers jours de rétablissement et de quarantaine et ne sait pas encore si l’une de ses patientes dont elle s’était occupée a contracté le virus. Elle retourne au travail dans quelques jours et saura alors si l’une de ses patientes a été infectée.
Selon le recensement d’août 2020 de l’organisation ARRT (American Registry of Radiologic Technologists), il y a un peu moins de 49000 techniciens en mammographie enregistrés auprès de l’American Registry of Radiologic Technologists (ARRT). Mais ce nombre n’inclut pas les techniciens en mammographie non inscrits. Combien d’entre eux ont déjà vécu des expériences similaires ou pires pendant la pandémie ? Combien d’autres le feront ?
Qu’est-ce qu’être un manipulateur(-trice) en mammographie retournant au travail lors d’une résurgence de cas de COVID-19 à travers le pays ? Alors que les établissements rouvriront pendant que la pandémie fait rage, comment vont-ils se protéger, leurs proches et leurs patientes, dont une partie est extrêmement vulnérable, au milieu d’une pénurie prolongée d’équipements de protection individuelle qui pourrait, selon un article récent publié dans The Guardian, persister pendant des années ? Comment vont-ils gérer l’accumulation massive de mammographies, les 100 000 examens non réalisés et qui se sont accumulés chaque jour quand les établissements avaient suspendu les dépistages ?
La réponse courte est : nous ne savons pas encore vraiment. Et nous ne pouvons qu’imaginer à quel point cette réponse est terrifiante et accablante pour les manipulateurs(-trices) en mammographie…